Avec The Sadness, la chorégraphe diplômée de P.A.R.T.S. (l’école de danse fondée par Anne Teresa De Keersmaeker) continue d’explorer le potentiel créatif de la manipulation des codes d’une certaine culture pop.

« Rêver le futur de la pop ». C’est par cette formule ambitieuse que la chorégraphe canado-polonaise Ula Sickle résume en 2016 l’objectif de sa pièce Extended Play, conçue avec l’artiste Daniela Bershan. À l’époque, il s’agit de puiser dans les codes de la culture contemporaine les éléments d’une performance immersive et très visuelle.

© Hugo Bourbon

Plongé·e·s dans une semi-obscurité graphique, les cinq interprètes circulent parmi le public en dansant, en chantant, et en se « samplant » en temps réel sur le logiciel Ableton Live au moyen d’iPads qu’iels activent elleux-mêmes sur le plateau. Entre beatbox et boucles scandées empruntées au répertoire populaire (comme Sweet Dreams d’Eurythmics), iels manipulent la pop comme « une matière vivante qui grandit, se détruit elle-même et se reconstruit » selon Sickle.

Ce dispositif se retrouve dans sa pièce The Sadness, créée en 2020. La musique live et le détournement de codes culturels grand public y tiennent également une place centrale. Mais cette fois, la chorégraphe s’est intéressée à un genre musical amateur apparu entre-temps sur Soundcloud et d’autres plateformes de streaming musical : le « Sad Rap ».

© Thierry Hauswald
© Hugo Bourbon

« Trois jeunes sont assis dans leur jardin. Iels improvisent des beats et écrivent des chansons pour personne en particulier, tout en copiant des danses vues sur Internet. Et iels attendent. Qu’est-ce qu’iels ont de mieux à faire de toute façon ? La fin du monde a déjà eu lieu. »

Au moment où la pandémie de Covid-19 plonge le monde dans l’incertitude et la désillusion, The Sadness veut donner voix aux espoirs et aux peurs de la prochaine génération. Dans une approche participative, Sickle a demandé à ses performeur·euse·s d’écrire les paroles qu’iels interprètent sur scène.

Durant la représentation, iels chantent en cercle au milieu du public en utilisant une app développée spécialement pour le projet. Leurs voix sont mélangées en direct avec des rythmes pop et de lourdes basses, au point que sonorités humaines et artificielles finissent par se confondre.

Par cette pièce, à mi-chemin entre spectacle de danse et concert, Ula Sickle réinjecte donc – au moins symboliquement – du collectif dans une période qui force à l’isolement. Elle établit de nouvelles connexions entre les corps et les mots, entre les humains et l’intelligence artificielle, et nous offre un regard contemporain sur nos possibles futurs.