Que se passe-t-il dans le corps d’une musicienne quand elle joue ? Comment la musique investit les corps, les traverse – les fait
vibrer, bouger, agir, les met en résonance de la partition par le biais de cet objet à la fois inerte et vivant : l’instrument ?

L’interprète joue, l’interprète danse, d’une danse intérieure, concentrée, précise, le plus souvent invisible au regard, à l’exception de ce qui apparaît à la surface – gestes techniques, tressaillements des membres, expressions du visage. Avec
l’intuition d’exposer cette musique incarnée, le chorégraphe Pol Pi, musicien de formation ayant longtemps pratiqué l’alto, est parti de deux points révélateurs. D’une part, le quatuor n°8 de Chostakovitch : une oeuvre testamentaire que ce dernier acomposée 15 ans après la seconde guerre mondiale comme un « requiem à lui-même ». Le thème, construit à partir de ses
initiales (D - Es - C – H, soit ré - mi bémol - do - si), agit comme un fantôme qui plane sur la musique – trans-portant les ombres de la guerre et de l’oppression qu’il a subie tout au long de sa carrière.

Et sa rencontre avec l’ensemble Kaleidoskop d’autre part, formation berlinoise qui se consacre à l’expérimentation de la musique instrumentale par l’exploration du corps et de la scène. En compagnie de quatre musiciennes, Sophie Notte au violoncelle, Anna Faber et Mia Bodet au violon, et Yodfat Miron à l’alto, Pol Pi a cherché à extraire l’essence de leur relation intime, quotidienne, conflictuelle ou passionnelle à la musique et à leurs instruments, en dessinant une série de portraits entrant en résonance avec la partition. Respectée à la lettre, guidant chaque souffle, inflexion d’un doigt ou déplacement d’un membre, la partition agit comme un intermédiaire entre le langage des notes et celui des corps – entre les préoccupations de Chostakovitch et celles du présent. Dans ce chassé-croisé entre les portées et les gestes, le solo et le quatuor, le silence et le rythme qui les lie, se déploie toute une chorégraphie subtile qui donne à voir la musique tout autant qu’à entendre le mouvement.Gilles Amalvi