Specky Clark, conçu par la chorégraphe Oona Doherty tisse ensemble souvenirs familiaux, folklore, et une histoire sociale nord-irlandaise réinventée. Tout est parti d’un seul nom : « Specky Clark ».

C’est le surnom sous lequel mon père a évoqué son propre arrière-grand-père, Edward James Doherty. Et à partir de ce surnom-là, qui émanait du passé, j’ai senti que tout un spectacle avait envie de naître.

J’ai visualisé ce gosse à lunettes épaisses. Orphelin de mère, embarqué à douze ans depuis Glasgow, et qui arrive un soir, sous la pluie des docks de Belfast dans les années 1900. Le contexte social est très difficile à l’époque. Un jeune homme y a le choix entre les usines textile ou les abattoirs. Pour les protestants, il y a les chantiers navals, mais les catholiques, discriminés, sont relégués aux docks. La vie est rude.

Specky Clark est un moment nouveau dans l’œuvre de la chorégraphe Oona Doherty. Les tribulations dans une Belfast hostile d’un jeune orphelin qui est aussi un ancêtre associent en effet une écriture chorégraphique contemporaine avec un parti pris fictionnel qui intègre la narration. Des « images théâtrales », mais aussi bon nombre de dialogues.

Il s’agit peut-être d’une pièce de théâtre. Dansée, bien sûr, mais où les danseurs interprètent douze ou treize personnages différents… et beaucoup de dialogue.Je n’ai jamais rien tenté de la sorte.

J'ai voulu un univers scénographique à la fois réaliste et imaginaire, qui sera inspiré par l'ambiance de Belfast et par le monde des abattoirs. Un monde sombre et changeant, en métamorphose, et comprenant des choses inattendues. La musique comprendra des titres du groupe Lankum, un groupe qui associe passé et futur, et la collaboration d'un musicien sarde, ainsi que toute une partition de bruits concrets : mouettes, bateaux, bruits de machine.

Il y a la réalité du Belfast des abattoirs, des usines, des docks. Un monde dur, essentiellement masculin, avec des cris, des bagarres, de la sueur, de l’alcool, de la fumée… mais Specky Clark est surtout le passeur vers un monde imaginaire, né de sa tristesse.

Specky Clark est un passeur, entre le monde réel et le monde imaginaire du folklore irlandais. Il est le messager de Samhain, il entre en communication avec les créatures de la nuit, dans une volonté de retrouver la figure de sa mère disparue…Tout cela est aussi lié aux espoirs de retrouver une Irlande réunifiée.

Entre le réel et le rêve, la chair et le spirituel, Oona Doherty poursuit une recherche chorégraphique profondément incarnée, ancrée dans l’histoire familiale d’un père ouvrier aux abattoirs de Belfast, et d’un grand-père maternel boucher.

Elle convoque aussi comme modèle la peinture de Francis Bacon : « ses tableaux connectent la chair et le spirituel. Je sens un rapport étroit avec la violence de sa peinture, où il y a quelque chose de violent, mais aussi beaucoup d’amour ».

La chorégraphe évoque aussi le cinéma et les jeunes héros que sont Billy Elliot, ou Francie Brady du film Butcher Boy (1997), le travail du réalisateur suédois Roy Andersson comme le Blind Boy Podcast, où se mélangent réalisme et humour noir.

Mon travail de chorégraphe est d’abord un travail manuel. L’importance physique de ce corps au travail est primordiale. Je ressens cela en moi. A la fin du jour, vous transpirez. Comme un fermier, un ouvrier, un docker, un boucher. Ou de la boxeuse que j’aurais été peut-être, dans une autre vie. 

SPECKY CLARK
Création au Pavillon noir, Aix-en-provence
22-23 novembre 2024
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