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- 08.10.2024
Dans un spectacle total, associant poèmes, performance, musique, chant et danse, Mille et une nuits de Sorour Darabi entend donner corps aux voix nocturnes et aux sexualités libres. Une oeuvre post-normes, à la croisée du genre, à l’ambiguïté choisie et à la beauté fragile.
Les Mille et une nuits sont des contes à la fois universels et insaisissables, aux origines indiennes, persanes, ou même arabes. En français, ils ont été moralisés par un homme hétérosexuel cisgenre, alors qu’ils sont demeurés plus ambigus en persan. Le texte y est plus imagé et plus érotique. Et tout le contexte est un acte sexuel : Shéhérazade reporte chaque nouveau conte à la nuit suivante, un entertainment qui est aussi métaphore sexuelle, où le plaisir est sans cesse différé.
S’identifier au personnage de Shéhérazade a ainsi été une évidence :
C’est un personnage de la nuit à l’identité fluide : elle est à la fois pure et sexualisée. Elle est sacrificielle, car menacée chaque matin de mourir, mais la nuit est l’espace où elle a le droit de vivre, c’est là où elle détient sur le désir du sultan une puissance contestataire.
Par son identité intermédiaire, par sa liberté de raconter, son appartenance à la loi de la nuit, Shéhérazade est un mythe queer, qui est menacé chaque matin par la loi du jour, celle du sultan, donc de la société.
Initié à l’occasion d’une résidence au Palais de Tokyo en 2022, Mille et une nuits fait cohabiter huit performeureuses et différentes formes artistiques dans une démarche à la fois poétique, visuelle, musicale, théâtrale, mais surtout vocale. La pluridisciplinarité d’un art total, en réponse, là encore, à la normativité des genres.
Tout est parti de sept poèmes, qui rapidement ont appelé la musique et le chant. De là, tous les éléments de la création se conduisent un peu de façon simultanée. Je travaille de façon très intuitive et fluide. C’est aussi une résistance à la logique capitaliste de l’efficacité.
Je cherche aussi à pousser les corps à leur limites mais surtout à intégrer d’autres corps, d’autres voix transgenres. L’opéra, en tant que forme classique, est devenu l’un des lieux de l’élitisme hétéronormatif. Au contraire, je veux explorer des esthétiques qui intègrent cette beauté non-conventionnelle. Fragile. Déchirée. Monstrueuse pourquoi pas, mais surtout : une beauté qui touche au plus profond.
Sorour Darabi fait aussi de Mille et une nuits une œuvre plastique éphémère, constituée de chaînes enserrées par des blocs de glace en train de fondre.
En Orient, le harem est le lieu de l’eau, des reflets et des miroirs, un lieu liquide, mais surtout le lieu du pouvoir féminin. Politique et divertissement y sont présents.
Entre liquidité et minéralité, fragilité et dureté, Mille et une nuits matérialise à la fois le temps qui s’écoule, si essentiel à Shéhérazade, mais cela m’évoque surtout à moi un profond sentiment d’urgence.
J’aime ce mélange entre laideur et beauté. C’est un harem transgenre, post-humain, dystopique, gothique et futuriste : à la fois sexuel et glacé.