Pour sa troisième et dernière création en tant qu’artiste associée du Ballet national de Marseille, la danseuse et chorégraphe Maryam Kaba a choisi de s’effacer au profit d’une danse de joie collective.

Depuis la mer, il serait difficile de savoir ce qu’il se trame sur le parvis de la base nautique Florence Arthaud. Comment savoir pourquoi cette foule se masse autour d’un podium où flottent des étendards vifs et poétiques et un immense poisson, qui se gonfle à chaque coup de vent. Et cette foule, pourquoi elle se tient là, un dimanche après-midi de juin, sous un soleil caniculaire, prête à en découdre ?

Comment savoir qui la compose, puisque depuis la mer, on ne pourrait apercevoir que les enfants qui ont commencé à s’agglutiner devant la scène, de grands jupons bleus et blancs, des chapeaux de la longueur d’une jambe, des visages pailletés, d’autre voilés, des masques affublés de dentelles et de pièces en crochet semblables à des filets de pêche échoués sur la grève, des perles, des fils et des rubans. Pourquoi la foule se tient là ? Cérémonie religieuse ou païenne ? Célébration de la mer ? Rituel qui convie les présents et les absents ?

Après une première inauguration pour les Jeux olympiques, ce dimanche 22 juin 2025 offre officiellement la marina aux Marseillais·es. Et c’est Maryam Kaba qui va orchestrer la passation.Elle l’annonce : “On va danser ensemble !” Enfin pas tout à fait parce que pour sa dernière création en tant qu’artiste associée au Ballet national de Marseille - après Entre mes jambes et Joie Ultra lucide en 2024 -, Maryam Kaba a choisi de presque s’effacer au profit d’une “danse de joie collective”.

Pour Tamos Juntos (“nous sommes ensemble” en portugais), elle a réuni une grande partie de sa clique personnelle et professionnelle, augmentée comme souvent dans ses projets, d’amateurices, de personnes passées là par hasard et d’adeptes de longue date de son énergie et de la magie qu’elle est capable de déployer pour rassembler des gens qui dans la vraie vie ne penseraient même pas à se donner l’heure.

Ce grand final qui viendra clôturer 3 ans de partenariat avec le BNM, ne dérogera pas à la règle puisque vont se succéder sur scène des coachs afrovibe, le concept de danse qu’elle a créé, des membres du collectif Maraboutage auquel elle appartient, et des bénéficiaires de collectifs et d'associations qu’elle soutient et suit depuis longtemps : la Maison des femmes, qui était déjà présente pour le projet Ultra Lucide,les femmes de 4 centres sociaux des quartiers nord (La solidarité, la Paternelle, la Viste, Kaliste), les mineur·e·s isolé·e·s réfugié·e·s du Grain, les femmes de l’association 13solidaires et les collégien·ne·s du collège Arthur Rimbaud.

Autant de structures qui auront bénéficié d’une série d’ateliers pour pouvoir venir présenter des numéros dansés, mais aussi des drapeaux et des costumes.

À toute cette foule, Kaba rajoute le public, qu’elle ne va cesser d’intégrer tout au long de la restitution. D’abord lors d’une mini séance Afrovibe, face à la mer. La foule se met en mouvement au son de de ses cris de joie, de ses consignes pour déverrouiller ce foutu bassin que l’on n’ose jamais laisser vivre sa vie.

Dès les premières minutes, Kaba installe les bases de la philosophie qu’elle a rapportée de ses années à Rio : la culture de la joie, de l’Alegria. Quand Maryam clappe des mains, les tambours de la Batucada des enfants Vacarme Orchestra lui répondent.

Elle chante, rigole, harangue ceux et celles qu’elle reconnaît dans la foule, d’où dépassent d’immenses chapeaux et des enfants sur les épaules des pères qui finissent tous par se laisser aller à la danse après quelques minutes à se contenter de hocher poliment la tête.

Mais la foule, c’est d’abord les femmes, celles pour qui Maryam travaille, danse, pense, s’engage. Toute la restitution est donc sous le patronage de deux de ses représentations les puissantes : la bonne mère, celle qui veille sur Marseille, et Lemanja, divinité africaine et afro-brésilienne protectrice des femmes et reine du monde aquatique. C’est ça le bleu clair et le blanc qu’on voit partout, les filets de pêche, les fanions, les perles.

Et les vraies déesses, ce sont celles que Maryam va faire défiler sur scène ; les femmes des ateliers, qui vont apporter leur présence, leur travail mais aussi leurs origines, leur culture, leur personnalité. Pas de démonstration technique ni de volonté de virtuosité. Le but estde danser ensemble.

Et pour que personne ne se sente mis de côté, exclu.e, timide, elle intervient en permanence : en faisant monter les coachs afrovibe en renfort quand elle observe les danseuses se sentir un peu seules, en dansant avec eux pour représenter les femmes qui n’ont pas pu se déplacer. Elle fera la même chose pour le grand final : un soul train aux sons de la batucada pour les spectateurices, qu’elle ira chercher par la main, qu’elle guidera, qu’elle encouragera.

Elle reprend ainsi les codes du carnaval (pour lequel elle a défilé à Rio) en brouillant sans arrêt les pistes, en effaçant le mur qui sépare les performeurices des spectateurices (qui bien évidemment finiront toustes par monter sur scène), en demandant à la foule des encouragements quand elle trouve que l’ambiance est trop molle, en passant en permanence d’un espace à l’autre au gré de ce qui est en train de se dérouler sous ses yeux.

Le carnaval donc, mais aussi l'organisation politique de la bateria, l’ensemble de percussions qui accompagnent le défilé des écoles de samba : un groupe hétérogène, à la fois libre et concentré, singulier et partie du groupe, où personne n’est irremplaçable mais où tout le monde est essentiel. C’est-à-dire une façon d’être ensemble, une contagion organisée et naturelle, qui n’aura laissé tranquille que les bateaux dans le port nautique, les seuls à ne pas avoir bougé une oreille de la soirée.

texte de Marie Kock

TAMOS JUNTOS

22 juin 2025

Maryam Kaba

Avec les intervenants des ateliers :

Luara Radio, Dino Mose, Angelina Policardo, Marie Khane, Pauline Remazeilles, Laura Crionay et Lucas Cessiron.

Costumes : Sophie Glandières et MaëlleMaelle Chabriat

Drapeaux : Nayara Oliveira

Batucada des enfants : Vacarme Orchestra